Le 17 mai est consacré Journée Mondiale contre l’Homophobie et la Transphobie (IDAHOT) depuis 2005, à l’initiative de Louis-Georges Tin. L’universitaire et chercheur, militant actif contre les discriminations, et auteur du Dictionnaire de l’homophobie en 2003, travaille dans l’hexagone mais il n’a pas oublié sa Martinique natale. À l’occasion de l’IDAHOT 2020, il a accordé un entretien à KAP Caraïbe.
KAP : Comment vous est venue l’idée de créer cette journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie ?
Louis-Georges Tin : « En 2003, j’avais publié aux PUF le Dictionnaire de l’homophobie. C’est une encyclopédie expliquant ce qu’est l’homophobie, ses porte-parole ou victimes célèbres, les institutions, les théories, etc. Après la théorie, j’ai voulu passer à la pratique. Il y avait déjà la journée mondiale contre le sida, la journée des femmes. Assez naturellement,l’idée de faire une journée contre l’homophobie m’est venue à l’esprit.Le 17 mai 2005, la Journée IDAHOT était née. Elle est aujourd’hui célébrée dans plus de 140 pays, et aussi par l’Union Européenne et l’ONU.
KAP : Quelle était la situation en 2005, année du lancement de cette journée ?
L’homophobie était un non-sujet. La plupart des gens à qui j’en parlais n’avaient même jamais entendu parler du mot. Aujourd’hui, on n’en est plus là. Les gens savent ce qu’est l’homophobie, et à la suite de la parution du Dictionnaire de l’homophobie, nous avons fait passer en France la première loi contre l’homophobie.
Par ailleurs, en 2005, les solidarités internationales étaient très peu développées. Chacun travaillait en silo, dans son pays. À partir de 2005, la Journée IDAHOT a permis de montrer que l’homophobie est un problème international, qui appelle des réponses internationales.
KAP : Avez-vous été confronté à des difficultés ? Si oui, de quel ordre ?
Le fait que le fondateur de la Journée mondiale contre l’homophobie soit un noir a parfois « semé le trouble ». Je parlais de problématiques liées à la dépénalisation en Afrique, en Asie. L’Afrique ? L’Asie ? Ça n’intéressait guère certaines personnes.
Nous avons rappelé inlassablement que 70 pays pénalisent l’homosexualité, et qu’il fallait saisir les Nations Unies. Nous avons été confrontés à l’indifférence, voire à l’hostilité de nombreuses personnes, y compris LGBT, pour lesquelles l’Afrique et l’Asie ne pouvaient être une priorité. Mais nous avons finalement réussi, et en décembre 2008, nous avons porté à l’Assemblée Générale des Nations Unies un texte appelant à la dépénalisation universelle de l’homosexualité. C’était une première historique.
KAP : Quelles différences faites-vous, s’il y en a, entre les LGBTphobies en hexagone et en Martinique ?
Dans l’hexagone, si homophobe que soit le milieu où l’on est, on peut toujours prendre le train et aller dans la grande ville d’à côté, et retrouver une sociabilité LGBT qui rassure et protège. L’insularité et la petitesse relative de la Martinique font que tout le monde connaît tout le monde. Cela peut être source de solidarité, mais aussi de contrôle abusif. C’est la société du « makrellage » qui peut avoir dans ce domaine des conséquences graves. Partout où vous allez, si vous êtes avec votre partenaire de même sexe, vous pouvez être reconnu, dénoncé, et marginalisé. Beaucoup de nos jeunes sont poussés à la dépression, voire au suicide. Du point de vue de la lutte contre l’homophobie, la principale différence entre l’hexagone et la Martinique, ce n’est pas tellement l’histoire, c’est avant tout la géographie.
KAP : Selon vous, quels sont les leviers sur lesquels il faudrait travailler pour faire évoluer les mentalités ?
Les médias. Les médias sont un levier qui permet de toucher aisément l’ensemble de la population. C’est le meilleur outil. Il y en a d’autres, évidemment. Mais c’est le plus direct pour une véritable pédagogie populaire. Car l’éducation est la mère de toutes les batailles.
KAP : Qu’est-ce qui vous a poussé à faire une grève de la faim en juin 2012 ?
J’ai des amis qui sont morts, à cause des homophobes. L’homophobie tue, et le plus souvent, en toute impunité. Après nos efforts de lobbying, nous avions mené la bataille aux Nations Unies, comme je l’ai dit, et Rama Yade avait fait à l’époque un travail magnifique.
François Hollande, que j’avais rencontré le lendemain de son élection, s’était engagé face à moi à poursuivre la bataille à l’ONU, mais il a trahi sa promesse. Une de plus, me direz-vous.
Mes amis mouraient. J’ai tout essayé pour mobiliser l’Elysée. A la fin, il ne restait plus que ce moyen. Malheureusement, ça n’a pas marché, et depuis, la France ne fait presque plus rien à l’international sur ce sujet, et personne d’autre non plus d’ailleurs. C’est une honte internationale.
KAP : Comment agir pour faire évoluer la législation au niveau mondial afin de garantir la sécurité de toutes les personnes LGBT ?
C’est très simple : il faut saisir Interpol et la Cour Pénale Internationale. C’est ce qu’on doit faire face aux dirigeants politiques qui violent les droits humains les plus élémentaires. Si nos Etats soi-disant démocratiques ne le font pas, ils doivent eux-mêmes être mis en cause.
Si un citoyen voit un homme qui frappe sa femme à mort, et n’appelle pas la police, cela s’appelle non-assistance à personne en danger, et c’est un délit, voire un crime.
De même, quand nos Etats reçoivent tous les jours des dirigeants qui tuent une partie de leur population, et signent avec eux des accords de coopération au lieu d’appeler Interpol, cela veut dire que nos dirigeants coopèrent avec des criminels, et donc qu’ils sont eux-mêmes complices des crimes qui sont commis.
KAP : Quel livre ou quel film conseillerez-vous à un.e jeune militant.e LGBT ?
Le Dictionnaire de l’homophobie. Je ne le dis pas pour faire de la publicité. Je le dis car je l’ai conçu pour donner aux victimes de l’homophobie les armes intellectuelles nécessaires pour la résistance et pour la résilience. La bataille en ce domaine, c’est d’abord la bataille des idées.
KAP : Que pourriez-vous souhaiter à KAP Caraïbe ?
De durer. Beaucoup de nos associations LGBT aux Antilles sont fragiles et peu durables. Les gens sont menacés, exposés, partent vers l’hexagone, l’association périclite, et une autre renaît quelques années plus tard en repartant de zéro. C’est frustrant.
Mais Kap Caraïbe dure. Et c’est très bien. Vous avez un local, et c’est très bien. Paradoxalement, c’est quand on a un siège qu’on peut le mieux avancer. Vous pourrez maintenant établir des partenariats avec la police, l’éducation nationale, les syndicats, les médias, et toutes les forces vives de la Martinique, ce que vous avez déjà commencé à faire en effet, sans négliger le lien avec les autres discriminations, sexisme, racisme, notamment.
KAP : Comme nous venons de voir, votre parcours est extrêmement riche de vos combats et vous avez largement contribué à l’avancée des droits humains dans le monde. Aujourd’hui en qualité de Premier Ministre de l’Etat de la Diaspora Africaine, comment allez-vous mener ces combats, notamment ceux liés à la lutte contre les LGBT-Phobies?
Dans le cadre de l’Etat de la Diaspora Africaine, la lutte contre les discriminations est prise en charge par la ministre de la justice. C’est une juge brésilienne, jeune retraitée, qui est très vigilante sur toutes les discriminations, y compris sur les questions LGBT. Quelques exemples : nous sortons bientôt les cartes d’identité de l’Etat de la Diaspora Africaine. Elles ne mentionneront pas le genre, car c’est tout à fait inutile, et cela cause des discriminations sans fin pour les personnes transgenre. Notre ministre de la justice l’a souligné à juste titre.
Les personnes qui nous rejoignent savent qui je suis, et savent que je ne suis pas homme à transiger sur les principes. Il y a deux jours, on m’a demandé de financer un concert où intervenait un très célèbre chanteur jamaïcain, qui a par le passé appelé à « brûler les homosexuels ». J’ai indiqué qu’il était hors de question que je finance celui qui veut me tuer. Mais que j’étais prêt à discuter avec l’artiste, pour lui expliquer ma décision. Mais s’il change d’attitude, alors moi aussi, je veux bien changer d’attitude.
L’Etat de la Diaspora Africaine, c’est le panafricanisme en action. Nous avons besoin de tous les Africains, ceux du continent, ceux de la diaspora. Pas seulement une partie des Afro-descendants. Nous ne pouvons pas lutter contre l’exclusion en pratiquant nous-mêmes l’exclusion, quelle qu’elle soit. Donc nous sommes contre toutes les discriminations, le racisme, évidemment, mais aussi l’homophobie, ou le sexisme, par exemple. C’est pourquoi le gouvernement que j’ai formé en tant que premier ministre est paritaire.
Propos recueillis le 13 mai 2020 par des militants de KAP Caraïbe